Rassemblement du peuple du NigerA LA UNE AFRIQUE 

FAIRE ÉVOLUER LES INSTITUTIONS POLITIQUES AFRICAINES

L’Afrique précoloniale était composée de sociétés holistes ou holistiques. Celles-ci étaient caractérisées par une structure sociale communautaire et homogène. Leurs populations avaient presque tout en commun (la langue, la religion ou les croyances, la culture, le mode de gouvernance). On pourrait donc schématiser par la formule : un peuple, un roi, une foi. Les relations avec l’extérieur étaient d’un faible degré et généralement marquées par l’hostilité.

Le découpage aberrant du continent africain par les puissances colonisatrices (Conférence de Berlin février 1885) allait entraîner un déséquilibre profond et douloureux dans un ensemble social stable. Apparaissait ainsi la notion d’État, marquée par une forme de proto-État, embryon d’État, État en gestation, en formation.

Au sein de cette nouvelle entité artificiellement constituée, existe une nouvelle réalité, une structure sociale hétérogène. Ses membres n’ont en fait rien en commun au départ. Des peuples parfois antagonistes se retrouvent à vivre dans un cadre institutionnel nouveau. Cette situation révèle des susceptibilités socioculturelles suscitant des rivalités parfois insurmontables. La nouvelle forme de gouvernance, imposée à une entité composée d’une multitude, nécessitait de forger au préalable une nouvelle société politique pour l’unité de la diversité. Celle-ci n’a hélas pu prendre corps, en raison de l’exacerbation du tribalisme et de l’ethnocentrisme.

Par exemple, face au projet de reconstitution de l’ensemble de l’Afrique occidentale française (AOF) en une fédération, Félix Houphouët-Boigny, de la Côte d’Ivoire, préconisait le maintien des États tels qu’existants avant les indépendances. Pour lui, « les dirigeants des États devraient être proches de leurs concitoyens, parce que connus de presque tous, pour pouvoir faire passer des décisions qui paraîtraient intolérables, si elles étaient proposées par des étrangers ou par des Africains appartenant à des ethnies lointaines et mal connues ».

Par ailleurs, entre Modibo Keita  » descendant de Soundjata Keita  » et Sékou Touré,  » petit-fils de Samory Touré », des empereurs au passé glorieux, qui devait assurer le leadership dans un vaste État fédéral?

Enfin, le Sénégal et le Soudan français (actuel Mali) décident de mettre fin à l’expérience de la Fédération du Mali, avec pour capitale Dakar, (20 juin 1960-20 août 1960), soit seulement deux mois d’existence. Alors, les Sénégalais font des reproches au Président Léopold Sedar Senghor, sur une base plus émotionnelle qu’institutionnelle. Ils lui font grief d’avoir accordé aux Soudanais la faveur de loger dans les plus belles résidences officielles de l’État. Ce qui aurait amené ces  » étrangers  » à adopter des comportements d’arrogance et de condescendance vis-à-vis des Sénégalais. Et pourtant on a les mêmes Diop, Dia, Ba, Cissé, Touré, etc., de part et d’autre de la frontière commune !

À l’intérieur d’un même pays, l’État a du mal à faire face à la gestion des différences ethno-socioculturelles pour la promotion de l’esprit citoyen et républicain. Le sujet demeure complexe et sensible. Il exige une pédagogie politique délicate et raisonnée pour parvenir à la construction d’une nation harmonieuse et paisible. Il faudrait, pour cela, qu’elle soit menée sur la base du principe de la reconnaissance mutuelle et du sentiment d’appartenance à une communauté de vie et de destin. Ce processus partirait de la mise en place d’une société politique par une volonté commune de créer un cadre institutionnel et sociopolitique ordonné, stable et serein.

La société politique est une grande société, la macrosociété où les membres, les groupes de personnes au départ se connaissent peu sinon pas du tout. Ceux-ci doivent entrer en compétition pour la gouvernance, dont la compréhension et la finalité n’ont pas été suffisamment intégrées dans les mentalités.

Passer des microsociétés traditionnelles holistes à une macrosociété hétérogène moderne et ouverte, d’évolution vers la citoyenneté, nouvelle forme de fraternité, représente un défi. On passerait ainsi de la relation du « même au même, identique », dans le cadre de la fraternité originelle, à la relation de « l’un à l’autre, différent », l’altérité, qui peut conduire à l’altercation, au conflit.

Dans ce contexte, l’effectivité de la citoyenneté est «  le fruit d’une initiation et d’une éducation, assurée au départ par l’école républicaine. Le brassage s’y opère. Mais, c’est bien sûr à l’université que revient le rôle éminent de rechercher et enseigner les lois fondamentales qui président à la constitution des sociétés politiques, à la fois dans leur unité et leur universalité . Comment vivre ensemble malgré toutes les différences entre les uns et les autres ? Comment bâtir une société qui assure à tous une sécurité minimale (et des conditions d’épanouissement équitables) ? » ( Denis Maugenest) . D’autres préoccupations interpellent.

– Que valent les principes et les règles pour les dirigeants politiques africains ?

– Que représente, pour ces dirigeants, l’État porteur de l’intérêt général et promoteur du bien commun ?

– Quelle est la place de l’éthique républicaine dans la gestion de l’État ?

– Pourquoi cette appétence des dirigeants pour la prédation des ressources et des richesses nationales ?

– N’ya -t’il pas une vie après le pouvoir ? En matière politique, la sortie est certainement plus importante que l’entrée.

– Quelle perception des droits et des libertés par les populations africaines, fondamentalement adeptes de  » la servitude volontaire  » (La Boétie)?

– Comment sortir du cycle de vengeances collectives récurrentes, pour construire une société politique en vue de parvenir à la concorde et la paix durable ?

Autant de questions dont les réponses pourraient éclairer utilement, pour revoir les paradigmes de la gouvernance en Afrique et faire évoluer les mœurs politiques ! Les institutions politiques des États africains ont connu des mutations mais pas d’évolution. Les dirigeants africains n’ont pas suffisamment fait l’effort d’apprendre l’État. À quoi aura donc servi le Discours de La Baule, prononcé en 1990 par le Président français François Mitterrand, liant l’aide au développement à la démocratisation des régimes, au respect de l’État de droit et à la pratique de la bonne gouvernance ? L’organisation de Conférences nationales dans plusieurs États francophones, à partir de 1991, aura finalement accouché d’une souris.

Rappelons pour mémoire que pendant la période coloniale, les territoires de l’Afrique francophone étaient administrés directement depuis Paris, au 27, rue Oudinot, dans le 7ème Arrondissement, par le ministère des Colonies, puis de la France Outre-mer. À l’indépendance et depuis lors, l’État est resté à Paris, indirectement, au 20, rue Monsieur toujours dans le 7ème Arrondissement, via le ministère de la Coopération, créé en 1959 et supprimé en 2007. L’État était également et réellement au Secrétariat général aux Affaires africaines, à l’Élysée. La connexion est aujourd’hui directe avec l’Élysée, visiblement le Président de la République. On appelait les pays africains francophones nouvellement indépendants, et cela pendant longtemps, « les pays du champ ».

Chaque pays africain concerné n’a pu de la sorte hériter d’un État mais, en vérité, d’un succédané d’État, d’un ersatz. L’État réalité sociopolitique, juridique et institutionnelle reste donc à concevoir et à bâtir. L’on ne doit, dans ce contexte, être étonné de la récurrence des coups d’État dus notamment à la défaillance structurelle de « l’État » et aux abus des dirigeants. On prend donc l’effet pour la cause. Il en sera ainsi

tant qu’il s’agira de personnification du pouvoir, accompagnée de prévarication des ressources nationales et de déni de démocratie. La personnification du pouvoir conduit, à terme, après une période de ferveur et d’adoration plus ou moins longue, au triste phénomène du  » Zusammenbruch », l’effondrement collectif. Les exemples sont légion et précisément en Afrique. Il apparaît ainsi urgent pour l’Afrique francophone de faire son aggiornamento, l’adaptation à l’évolution du temps et du monde.

En démocratie, les acteurs politiques se reconnaissent comme des adversaires-partenaires, avec une communauté de destin. Ainsi, dans l’adversité les « hostilités » vont assez loin sans aller trop loin, dans le respect mutuel pour pouvoir se retrouver et s’accorder sur l’essentiel. Enfin, dans un État normal la gouvernance se fonde sur l’adhésion des esprits aux institutions librement établies, pour former un cœur collectif, en vue de la promotion du sentiment d’appartenance nationale à travers la citoyenneté. Ce processus, abouti, confère une âme à la société, qui marque son identité et fait sa force dans le concert des nations, dans le malheur comme dans le bonheur !

3 Octobre 2023

Pierre AYOUN N’DAH

Docteur en Droit public

Ancien professeur à l’ENA d’Abidjan

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